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Chapitre 6

Rapt sur l’Assurance-maladie



Note de 2024: Ce chapitre est réservé à ceux qui s'intéressent aux arcanes du syndicalisme médical. Aux autres, il pourra sembler abscons, d'autant que les choses ont évolué en vingt ans. L'essentiel à retenir est que le corps médical est divisé, que les généralistes étaient alors ( beaucoup diront que ça n'a guère changé) méprisés et craints par certains syndicats de spécialistes, que certains syndicats puissants et réactionnaires sont plus préoccupés de conforter leurs liens avec les partis au pouvoir que d'améliorer l'accès aux soins des patients et les conditions de travail des soignants. Et rappeler que seuls les syndicats qui signent les conventions reçoivent des financements publics... Enfin, ce chapitre écrit je le rappelle en 2006 explique en quoi la convention médicale, supposée garantir un égal accès aux soins à tous, est devenue au fil des ans un moyen pour le gouvernement de forcer les médecins à accepter des conditions de travail de plus en plus démentes, et à tenter de les forcer à fliquer les assurés ( Pour ce qui est du parcours personnel de quelques-uns des syndicalistes qui ont détruit la médecine générale et contribué à l'effondrement actuel, je rappelerai juste, mais j'aurai l'occasion d'y revenir, que Michel Chassang est toujours Président du groupe des professions libérales au Conseil Economique et Social. )



L’évènement, s’il passe inaperçu pour le commun des mortels, est d’importance : les syndicats de salariés se sont fait dépouiller de leur marge de manœuvre, même si celle-ci était assez faible. 

Du côté des syndicats médicaux, on fourbit les armes, mais-là aussi, le ministre et son cabinet s’y entendent pour rassurer leurs interlocuteurs. Car une partie non négligeable de l’enjeu politique de la réforme se trouve là, dans ce rapport au corps médical. Au-delà de l’ hypothétique  équilibre des comptes de la Sécurité Sociale, de la lutte contre le déficit, c’est du lien indéfectible entre la droite de gouvernement et les médecins qu’il est question. De même que les enseignants sont censés voter à gauche, les médecins sont présumés faire partie du peuple de droite. De l’élite du peuple de droite. Et lorsque le pouvoir politique leur a déplu, comme en 1996 par certaines dispositions du plan Juppé, ils se sont chargés de le lui faire savoir, et de le lui faire payer lors des échéances électorales suivantes. Philippe Douste-Blazy ne s’en cache pas, lors de ses fréquents interviews dans les colonnes de la presse médicale sponsorisée par les firmes pharmaceutiques :  c’est avec les médecins, jamais contre eux, qu’il veut bâtir une grande réforme. Sans les médecins, rien n’est possible. Embrassons-nous, Folleville, entre confrères. Pourtant, et la mise en musique de la réforme par le biais de la convention médicale va en apporter la preuve, si Philippe Douste Blazy est médecin, tous les médecins ne sont pas forcément ses confrères. Ses préférences sont clairement affichées, quoiqu’on puisse penser de ses annonces de réforme, et de la mise en place d’un médecin traitant. Dans les tractations qui s’annoncent, si tous les médecins sont égaux, certains sont plus égaux que d’autres.




Dresser un échiquier de la représentation syndicale des médecins. L’exercice n’est pas folichon, il est même plutôt casse-gueule. Mais il semble nécessaire, voire indispensable. A chaque évènement médico-social, les journalistes retranscrivent les prises de position de tel ou tel responsable syndical, sans que le public puisse précisément déterminer qui représente qui, et qui, hormis Patrick Pelloux, roule pour quoi. Les déclarations souvent contradictoires de syndicalistes de ville ou hospitaliers, les revendications fréquentes d’être le plus grand syndicat, le premier, le tatoué, le meilleur et le plus beau, les annonces ultra-fantaisistes du nombre d’adhérents, tout cela crée une foire d’empoigne incompréhensible pour le citoyen, alors même que se joue là quelque chose de crucial, le lien entre les médecins et la société, la notion même de santé publique. 


Le terme même de « médecine libérale » est trompeur. Il ne présuppose pas une adhésion aux thèses du libéralisme, mais le statut du médecin exerçant hors de l’hôpital, en ville ou dans une clinique dont il n’est pas salarié. Si certains syndicats prônent l’unité du corps médical, la réalité quotidienne, tant au niveau des conditions d’exercice que de la rémunération, est toute autre. Ce discours lénifiant masque mal les très fortes disparités de rémunération entre les spécialistes disposant de plateaux techniques, comme les radiologues, et les spécialistes faisant peu d’actes techniques onéreux, et surtout des actes intellectuels : c’est le cas des généralistes, mais aussi des endocrinologues, des psychiatres…


De plus, comme je l’ai décrit dans « Patients si vous saviez », la caste médicale hospitalo-universitaire a longtemps considéré le généraliste comme un sous-fifre, « sélectionné par l’échec à la voie royale de l’internat ». A lui les horaires délirants, à lui les gardes de nuit entre deux journées de travail, car a-t-on réellement besoin d’être en parfaite possession de ses moyens quand on ne soigne, dans l’esprit des puissants, que des rhumes et des bobos qui guérissent tout seuls, quand on n’est bon qu’à recopier avec application, en tirant la langue sur le côté, des ordonnances de grands professeurs? Jusque dans l’esprit des observateurs du secteur, cette vision du généraliste comme un sous-fifre a diffusé, même inconsciemment. Ainsi un journaliste médical pouvait-il écrire en 2004 qu’il était interdit à un médecin généraliste de modifier une prescription médicamenteuse hospitaliére ( Je prends la peine de préciser que c’est évidemment faux…Chaque médecin est personnellement responsable de ses prescriptions… comme nous le reverrons, plus tard, en parlant de l’affaire du Vioxx, un anti-inflammatoire présenté comme miraculeux…) 

Et même Jean Peneff, sociologue très critique envers le pouvoir de la caste médicale, comme en témoigne le titre de son livre : « La France malade de ses médecins », ed. Les Empêcheurs de Penser en Rond, propage cette vision surannée de la médecine générale lorsqu’il base son analyse des dysfonctionnements du système de santé sur les ouvrages de douze médecins… tous professeurs ou chefs de service hospitaliers. Pourtant quelques médecins généralistes se sont exprimé, ces dernières années, à ce sujet, et parmi eux Norbert Bensaïd, Martin Winckler, pour ne pas me citer ;-)

Clou du spectacle, Peneff conclut au terme de 354 pages, par ces quelques lignes : « Je voudrais terminer en rendant hommage à une catégorie de médecins dont j’ai peu parlé : « les travailleurs humbles et anonymes » ainsi qu’ils sont qualifiés dans la littérature sociale. Dans l’ombre, ils apportent une contribution irremplaçable en maintenant vivante une médecine populaire. »  

C’est-y pas beau comme de l’antique, c’est-y pas émouvant ? 

Au final, qu’y-a-t-il de pire : le mépris de la caste médicale, ou le mépris des spécialistes autoproclamés du secteur, pour lesquels le généraliste est un fantassin indigène à qui on laisse quelques verroteries en partant, et dont on loue les éloges, un siècle plus tard, au pied des monuments aux morts, avant d’aller dîner avec le sous-préfet ?


La centrale syndicale la plus ancienne est la puissante Confédération des Syndicats Médicaux, ou CSMF. Née en 1928, elle se veut le garant des « cinq piliers du libéralisme » : liberté de choix du médecin par le patient, liberté d’installation, liberté de prescription, respect du secret médical… et entente directe sur les soins et les honoraires.

La Confédération regroupe divers syndicats de spécialistes ( les radiologues, les cardiologues, etc…) au sein de l’UMESPE ( Union Nationale des Médecins Spécialistes Confédérés). Chacun de ces syndicats est un syndicat à part entière, et peut s’il le désire, en théorie, négocier et signer seul un accord avec l’assurance maladie. 

Les médecins généralistes sont aussi représentés au sein de la puissante CSMF, mais leur situation y est assez particulière. L’UNOF, Union Nationale des Omnipraticiens Français, se satisfait d’exister auprès de ses grands frères spécialistes en tant que simple « collège » généraliste, ne disposant d’aucune autonomie de signature. En clair, cela signifie que si, au sein de la CSMF, les spécialistes peuvent négocier seuls pour une de leurs branches, les généralistes n’y sont pas assez grands pour négocier et signer pour leur propre compte. Cette différence étonnante, et bien d’autres exemples du « deux-poids, deux mesures », ont amené en 1989 à une scission, certains généralistes quittant l’UNOF pour créer MG France, un nouveau syndicat généraliste indépendant de la tutelle des spécialistes. 

Politiquement, et bien que son actuel Président Michel Chassang s’en défende, la CSMF est classée à droite sur l’échiquier. On retrouve, au fil des ans, ses anciens présidents à des postes de responsabilité. Elisabeth Hubert, ancienne Présidente de l’UNOF, fut ministre de la Santé sous Alain Juppé, puis directrice des laboratoires Fournier. Claude Maffioli, le prédécesseur de Michel Chassang,  ancien membre fondateur de l’association des « Amis de Jacques Chirac », et candidat malheureux aux législatives à Reims en 2002 sous l’étiquette UMP, est aujourd’hui membre de la Haute Autorité de Santé, organisme public indépendant d’expertise scientifique, dont les membres sont nommés… par le Président de la République, le Président du Sénat ou le Président de l’Assemblée Nationale. Cette « proximité » entre la CSMF et l’UMP ne s’est démentie qu’une fois, lors du plan Juppé, entraînant une fâcherie entre amis de trente ans, que Philippe Douste Blazy était chargé de faire oublier, comme il s’en était expliqué à la télévision : «  Vous ne ferez rien dans ce métier, dans ce dossier si vous avez les professionnels contre vous. Regardez Alain Juppé qui était parti sur une réforme courageuse, qui avait eu la vision comme d’habitude Alain Juppé, qui avait eu la vision mais les professions de santé n’ont pas fonctionné parce qu’il y avait eu des mesures comptables. »

Michel Chassang, Président de la CSMF depuis 2002, généraliste à Aurillac, et principal artisan de la réforme au sein du corps médical, est un vrai politique, excellent tacticien, rompu aux intrigues de couloir et aux négociations discrètes. Lors de la Convention Santé de l’UMP organisée en Juin 2006 dans le cadre de la précampagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, l’action de la CSMF sera à juste titre qualifiée d’exemplaire. 


La FMF, Fédération des Médecins de France, est aussi un syndicat  polycatégoriel, regroupant des médecins de spécialités différentes, et possédant une branche Spécialistes et une branche Généralistes. Après une période de relative mise en sommeil, elle a été réveillée et ragaillardie par l’arrivée en masse, courant 2002, des médecins des coordinations, ces généralistes qui ont mené le combat pour redéfinir les conditions de la garde de nuit sur le territoire français. Jusqu’alors, sous le poids combiné de la culpabilité et des menaces de l’Ordre des Médecins et des pouvoirs publics, les médecins généralistes avaient accepté, bon gré, mal gré, d’assurer seuls, sans statut ni moyen, la permanence des soins, jour et nuit, sans repos compensateur. A l’image traditionnelle et bonhomme donnée par le Président Jean-Claude Régi, du médecin FMF, notable en nœud-papillon, s’était superposée celle d’une nouvelle génération de grandes gueules sympathiques, généralistes proches du terrain, dont Jean-Paul Hamon, médecin généraliste à Clamart devenu Président de la FMF-Généralistes, était l’archétype. Sur le plan politique, on trouvait de tout chez les médecins de la FMF, mais la proportion de médecins rejetant la convention médicale y était importante. Certains, totalement acquis aux thèses libérales, considèrent que ni l’Etat ni l’Assurance-Maladie n’ont légitimité à s’immiscer dans le colloque singulier entre médecin et patient, et se revendiquent adeptes de la liberté tarifaire, qui dans un système de dépendance du patient malade par rapport au médecin détenteur du savoir et du pouvoir, s’apparente fortement à la liberté du renard dans le poulailler. D’autres combattent la convention, non parce qu’ils rêvent de pouvoir fixer eux-mêmes leurs tarifs, mais parce qu’ils considèrent que les modes de négociation des conventions médicales, des conditions de travail et de rémunération, sont trop dépendantes des pressions politiques et financières, et faussent le jeu. Ils réclament une remise à plat des conventions. Leur mouvement de 2002 pour obtenir une permanence des soins plus décente et une revalorisation des honoraires des généralistes, les avait amené à un conflit frontal long de plusieurs mois avec le pouvoir politique de l’époque, Lionel Jospin restant sourd à leurs revendications. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin tiendra les promesses du candidat Jacques Chirac, et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie revalorisera le tarif de la consultation du généraliste à 20 euros, manière de solder le conflit, et éclatante illustration du jeu de dupes que constitue l’apparente autonomie des caisses d’assurance-maladie.


Le SML, Syndicat des Médecins Libéraux, est lui aussi un syndicat polycatégoriel, regroupant généralistes et spécialistes, majoritairement attaché à la défense et au maintien du secteur 2, à dépassement autorisé. Son président, Dinorino Cabrera, médecin homéopathe retraité, ravit ses confrères par ses fréquentes « Carte Blanche » dans le Quotidien du Médecin, qui rappellent aux moins jeunes les alertes chroniques de Marcel Dassault dans « Jours de France », à la belle époque. Signataire avec Michel Chassang de la convention médicale de 2005, il ne cessera d’y exhorter la troupe généraliste à plus d’investissement dans la réforme :

« Médecins, à vous de vous engager » ( 12/01/2005), « Convention médicale, fin de la récré » (26/01/2005), « Retroussons-nous les manches ! » (24/02/2005), « Choisir, et s’y tenir » (24/03/2005), « Râler stérilement ou s’investir » (04/10/2005), « Arrêtons les doutes » (03/11/2005).


MG-France, né de la scission de généralistes étouffés sous la tutelle de la CSMF, a longtemps été, sous la houlette de son président-fondateur Richard Bouton, LE syndicat de la médecine générale. Une équipe de militants de terrain très soudée a rapidement gagné la confiance de nombreux confrères isolés, en incarnant une alternative à la représentation de la profession offerte par la CSMF. Peut-être d’ailleurs est-ce en analysant le rejet de MG France par l’establishment médical et la CSMF que l’on peut le mieux approcher la nature de ce syndicat, accusé par la vieille maison-mère de faire de l’obstruction systématique, ou, pire « d’orienter la défense des médecins généralistes dans le sens d’une lutte des classes stérile et très dangereuse contre les spécialistes, supposés nantis » ! » Effectivement, un syndicat qui répète inlassablement qu’au-delà des discours de la CSMF sur l’unité du corps médical, l’écart de rémunération entre généraliste et spécialiste peut aller du simple au triple (généralistes 63000, radiologues 190000), dérange, on s’en doute, les adeptes du « tous unis ». Né en 1989, grand vainqueur des élections professionnelles de 1994, MG France a en quelques années posé les bases d’une réflexion de fond sur les soins primaires en France, reprenant et traduisant les fondamentaux de la discipline qu’est la médecine générale, tels que définis par la WONCA, organisation mondiale des collèges et académies de médecins généralistes.

Ses militants, souvent impliqués dans la formation médicale continue, l’enseignement, l’informatique médicale, défendent en majorité le concept d’une médecine générale accessible à tous dans le cadre d’une assurance-maladie solidaire. Très actif sur le terrain de la défense de la médecine générale, le syndicat est la cible du mépris ou de l’hostilité affichée de nombre d’acteurs du monde de la santé. Syndicats de spécialistes,  patrons hospitaliers, universitaires, fustigent les prétentions de ces « soutiers de la santé » osant revendiquer un traitement moins inégalitaire. Quand aux firmes pharmaceutiques, elles voient d’un œil inquiet se développer dans la mouvance MG France une réflexion et un appareil critique sur la question du médicament, qui nous le verrons est une question centrale de l’organisation des soins en France. Une fois acquise la représentativité pour la médecine générale en 1994, le syndicat va œuvrer en partenariat avec les caisses d’assurance-maladie pour tenter de promouvoir une réorganisation du système de soins en France. Ce sera, en 1997, la naissance du  médecin référent , un système optionnel, volontaire, incitatif, de coordination des soins, donnant lieu à un véritable contrat paraphé par le patient, le médecin généraliste et la caisse d’assurance-maladie. Dès sa mise en route, ce dispositif sera contré par une impressionnante levée de bouclier, les syndicats de spécialistes, relayés par l’Ordre des médecins, s’insurgeant contre cette intolérable atteinte au libre choix du médecin par le patient ( ? ). Un responsable de la CSMF ira même jusqu’à menacer de poursuites pénales les médecins référents, dressant un tableau apocalyptique de dizaines de milliers de patients portant plainte contre le généraliste ( incompétent, forcément incompétent) qui occasionnerait une perte de chance inacceptable, tant le dogme est profondément ancré dans la caste médicale française que le généraliste, soyons un peu sérieux, est là pour s’occuper essentiellement de bobologie, la nuit et le week-end exceptés, périodes pendant lesquelles, telle Cendrillon, le tâcheron incompétent est touché par la grâce et peut assurer la garde de nuit, qui selon le Code de Déontologie de la profession « s’impose à tout médecin », ce que l’Ordre traduit par « s’impose à tout médecin généraliste ».

La rudesse du combat autour de ce début d’émancipation des généralistes, la violence verbale employée, les intimidations sur le terrain lors de rencontres «  confraternelles », amènent les militants de MG France à se soutenir fortement les uns les autres, mais développent aussi une mentalité de forteresse assiégée. La réflexion éthique et scientifique sur le métier perd un peu de sa souplesse, s’érige parfois en dogme. Qu’importe alors si, à la base, certains militants émettent quelques réserves : la fédération MG France doit avancer. Un des préceptes souvent entendus devant une nouveauté conceptuelle apparemment difficile à avaler pour le médecin de base est que : « les confrères feront un travail d’appropriation du concept ». Plus pragmatique, et tentant de garder un minimum d’humour, certains cadres de Mg France rappellent la maxime : « un pas en avant des masses, pas deux… »

MG France recule aux élections professionnelles de 2000, et une contestation interne y naît. Certains membres émettent des doutes sur la ligne imprimée au syndicat par Pierre Costes, successeur de Richard Bouton : le partenariat appuyé avec les caisses d’assurance-maladie, la recherche de compromis négociés qui font la part belle, certes, à la défense d’une assurance-maladie solidaire, mais aux dépens de certaines aspirations jugées légitimes par la base, isole un temps MG France en position de « branche généraliste de la CFDT ». En 2002, pendant la grève des gardes de nuit pour obtenir des conditions de travail moins indécentes et le combat pour la revalorisation de la consultation généraliste à 20 euros, MG France perdra symboliquement le leadership de la contestation généraliste au profit des coordinations en entérinant des accords minimalistes, officiellement pour ne pas céder à la surenchère, officieusement, au vu de ses adversaires, pour gêner le moins possible la campagne électorale du Premier Ministre Lionel Jospin,  chroniquement sourd aux revendications de la piétaille généraliste. La contestation interne née à ce moment, minoritaire, ronge son frein en pressentant courant 2004 que la participation enthousiaste du syndicat à la phase de préparation de la réforme Douste-Blazy n’annonce rien de bon. 


Si MG France est considéré par la caste médicale comme un syndicat de gauchistes suspects, le petit Syndicat de la Médecine Générale, ou SMG, est lui considéré comme évoluant sur une autre planète. Si MG France représentait, dans l’esprit des syndicats de spécialistes, le Parti Socialiste, le SMG prendrait les traits honnis d’une Laguiller, d’un Krivine ou d’un Besancenot. Syndicat minoritaire, non représentatif, le SMG rassemble ceux qui voudraient penser la médecine autrement. Le syndicat édite une revue de réflexion médicale de très grande qualité, « Pratiques », dont le slogan « Cahiers de la Médecine Utopique » fixe bien l’enjeu. Il s’agit, non pas de rentrer dans le jeu complexe des alliances ministérielles et des tractations de couloir, mais de maintenir la flamme de la réflexion éthique allumée, de penser un autre système de santé, qui ne serait pas seulement un système de soins, tant l’un dépasse l’autre. Préoccupés de social, d’écologie, très critiques vis-à-vis des firmes pharmaceutiques et de l’Ordre, le SMG est honni par les notables médicaux. Une égérie exaltée de la CSMF fustigera lors de la mise en place de la réforme l’entrée en résistance de ce petit syndicat « ressorti des poubelles de l’histoire ». Courteline avait souligné, bien avant moi, l’amer plaisir d’être méprisé par les imbéciles.


D’autres syndicats existent. La liste est longue. Certains, comme le syndicat Alliance, défraient la chronique des pages interprofessionnelles des journaux médicaux, plus par la narration des luttes intestines judiciaires incompréhensibles qui les déchirent, que par la force et la nouveauté de leurs propositions. Cela ne les empêche pas, parfois, d’être considérés représentatifs de la profession par le Ministère, et d’apposer leur paraphe sur tel ou tel avenant conventionnel prétendument négocié entre l’Etat, les caisses, et les médecins. 

Un bon syndicaliste est un syndicaliste docile


Car au-delà du tableau forcément subjectif mais, on l’a vu, très éclaté, de la médecine de ville, le scandale essentiel du syndicalisme médical vient des règles par lesquelles l’Etat reconnaît représentatif un syndicat médical, et des mécanismes financiers par le biais desquels sont  subventionnés les seuls syndicats qui acceptent de signer les conventions médicales. 

Alors que les syndicats de salariés reçoivent pour leur fonctionnement, outre les cotisations des adhérents, des subventions publiques, reconnaissance de leur rôle essentiel dans l’instauration d’un dialogue et d’une négociation entre travailleurs, entreprises et Etat, dans le monde médical, le fonctionnement est très différent, et pour tout dire surréaliste : seuls les syndicats signataires d’une convention médicale perçoivent une subvention, théoriquement destinée à la formation de leurs cadres. Les syndicats récalcitrants se voient refuser toute subvention. Cette prime à la signature représente pour les syndicats médicaux une pression énorme. Refuser de signer une convention médicale inacceptable peut briser les reins d’une organisation syndicale. Signer une convention médicale peut garantir à une organisation, quelle que soit sa réelle représentativité ou son action sur le terrain, une confortable existence. Imaginez un instant que la CGT, la CFDT ou FO, ne reçoive de subvention de fonctionnement qu’en fonction de leur soumission lors des négociations. Pire encore, que l’Etat choisisse selon son bon vouloir de leur reconnaître ou non le droit de représenter leurs adhérents… En un mot comme en cent, pour l’Etat et les caisses, le bon syndicaliste médical est un syndicaliste docile. Comment s’étonner ensuite de la relativement faible syndicalisation des médecins( 20%, soit plus que les salariés), et de leur désespérance vis-à-vis des simulacres de négociation qui se déploient régulièrement dans les locaux de la CNAM aux petites heures de la nuit, comme si un accord professionnel ne pouvait être arraché que dans la torpeur comateuse des petits matins blêmes ? Cette anomalie bien française, largement passée sous silence hors du milieu médical, explique en grande partie l’évolution des modes d’action des médecins libéraux. Lorsque la négociation est pipée, lorsque les avenants conventionnels s’entassent en une ubuesque montagne administrative, les médecins de ville, même les plus attachés à l’existence d’un système solidaire, n’ont parfois d’autres armes que la grève, le retrait, ou la contestation tarifaire. Et d’année en année, cette faillite morale du système conventionnel entraîne une fraction grandissante du corps médical à désespérer des accords signés, et leur rend plus audibles les sirènes du tout-libéral.

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