Chapitre 10
Tiers-payant et dispense d'avance de frais: le fantasme du CMUiste profiteur
Parmi les dispositions vouées à disparaître avec l’option référent, figurait le dispositif d’avance de frais. Communément appelé « tiers-payant », largement pratiqué par les référents, ce dispositif permet au patient d’accéder aux soins sans débourser d’argent. Ce sont les organismes d’assurance-maladie obligatoire et complémentaire ( la Sécu et la mutuelle ou l’assurance du patient) qui règlent directement le médecin au lieu de rembourser l’assuré. Le système a plusieurs avantages :
il facilite l’accès aux soins de tous les patients, indépendamment de leur situation financière.
il limite le recours aux dépassements d’honoraires, dans la mesure où ce sont les organismes d’assurance-maladie qui rémunèrent le praticien, et non le patient directement.
Mais pour les néolibéraux, ce système est profondément dangereux :
il facilite l’accès aux soins de tous les patients, indépendamment de leur situation financière ;-))
il limite le recours aux dépassements d’honoraires, dans la mesure où ce sont les organismes d’assurance-maladie qui rémunèrent le praticien, et non le patient directement. ;-))
il « déresponsabilise » les patients, qui ne savent même pas « combien ça coûte », et « consommeraient » donc du soin sans modération.
Que leur importe l’avis du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, instance mise en place par le gouvernement lui-même, qui relève, à contrario, qu’« aucune étude n’a démontré que l’introduction d’une dispense d’avance de frais induirait des comportements notables de surconsommation ». Qu’importe l’avis du CREDES, bureau d’études indépendant, qui renchérit en affirmant que la dispense d’avance de frais « facilite le recours aux soins des ménages les plus modestes sans avoir d’influence sur la consommation des autres ménages », et ceci dans un pays où les inégalités de santé sont importantes, l’espérance de vie d’un ouvrier étant inférieure de plusieurs années à celle d’un cadre.
Qu’importe la réalité, pourvu qu’on ait l’ivresse du dogme, qu’on puisse à loisir psalmodier le credo de la secte, et masquer ainsi, derrière des vérités économiques révélées totalement fausses, une bonne vieille haine sociale. Margaret Thatcher, égérie du camp libéral, ne s’embarrassait pas, elle, de ces demi-mesures. Elle était plus directe, qu’on en juge : « Toute personne qui prend les transports en commun après l’âge de trente ans est un raté. » On ne saurait être plus clair.
L’image du CMUiste profiteur utilisant sa carte Vitale en lieu et place d’une carte bancaire Gold était suffisamment ancrée dans l’esprit des négociateurs de la convention pour mettre un terme à cet insupportable accroc aux lois du marché. La solution était toute trouvée. Mettre fin à l’option référent, et par là-même, mettre fin à l’utilisation du tiers-payant… par les généralistes. Car, étrangement, cette dispense d’avance de frais, censée générer chez le médecin généraliste une gabegie de dépenses insupportable, n’était aucunement contestée dans le cadre de la médecine spécialisée, comme le savent tous les patients qui, à l’hôpital ou en clinique, n’avancent pas l’intégralité des frais pour la réalisation d’un scanner, d’une IRM ou d’une intervention chirugicale ( si tant est que celle-ci soit effectuée au tarif de la Sécurité Sociale).
Qu’on en juge à la lecture de l’article 4.1.3.2 de la convention :
"La dispense d'avance de frais peut s'appliquer aux ACTES DE SPECIALITE dont le coefficient inscrit à la nomenclature des actes professionnels est égal à :
- 50 pour les actes en K, KC, KCC ou
- 50 pour les actes en Z ou ZN
Ces seuils seront rééxaminés dès la mise en oeuvre de la CCAM technique
Cette exigence de seuil est supprimée pour les malades exonérés du ticket modérateur ou assimilés.
L'assuré règle au praticien le montant du ticket modérateur et les dépassements autorisés."
En français dans le texte, cela signifie que le médecin spécialiste peut utiliser le système de dispense d’avance de frais, en totalité, pour les patients en affection longue durée, et, pour l’ensemble des patients, dès que la tarification dépasse 90 euros. Autrement dit : si vous allez chez le généraliste, il vous faut débourser chaque centime du tarif de la consultation ( 20 euros en 2005), car cela vous met face à vos responsabilités et vous fait prendre conscience du coût généré pour la collectivité par votre comportement incivique. Mais si vous faites réaliser des examens complémentaires techniques de spécialité…plus c’est cher, plus cela doit, pour vous, être indolore financièrement. Autrement dit : plus c’est cher, plus c’est gratuit.
Ainsi, invention socialo-communiste malsaine permettant à tous d’avoir recours sans avancer les frais aux soins de premier recours du généraliste, le tiers-payant représente pour la médecine spécialisée et les pourvoyeurs d’examens complémentaires techniques une simple facilité de trésorerie. Miracles de la science économique à géométrie variable, selon que vous serez puissant ou misérable…Et cette incongruité, ne nous voilons pas la face, avait depuis longtemps essaimé, hors du clan des libéraux purs et durs, pour contaminer jusqu’aux organismes de santé complémentaires. Ainsi de nombreuses mutuelles, dans un double discours étrange, expliquent-elles à leurs adhérents qu’elles pratiquent la dispense d’avance de frais pour les examens biologiques et radiologiques, les hospitalisations, les consultations externes des hôpitaux, les consultations spécialisées ( parfois même en prenant en charge tout ou partie des dépassements), partout, en fait… sauf dans le cadre de la consultation du clampin de généraliste en secteur 1.
On pourrait s’en étonner, à moins de constater que dans un système où la Sécurité Sociale rembourserait l’intégralité des actes de soins, les organismes complémentaires n’auraient aucune raison d’être, et que c’est, d’une certaine façon, par le biais du ticket modérateur laissé à charge de l’assuré, et des dépassements d’honoraires, qu’est amenée à s’étendre la couverture complémentaire des Français.
Le tiers-payant, largement pratiqué dans le cadre de l’option médecin référent, était donc voué à disparaître avec elle. Pour nombre de généralistes, pour nombre de patients peu aisés, la dispense d’avance de frais était une simple mesure de justice sociale, permettant aux patients à faibles revenus tentés de diminuer ou de retarder leurs soins pour des raisons financières ( notamment en fin de mois), de consulter comme ceux qui n’ont pas de problème financier.
Très rapidement, la presse releva ce risque de recul dans l’accès aux soins, et Odile Plichon, dans Le Parisien, fut la première à lever le lièvre, le 10 Janvier 2005. Dans un article intitulé : « Le tiers-payant menacé ? », elle interviewait le docteur Philippe Foucras, généraliste à Roubaix :
« Philippe Foucras se souvient surtout de cette patiente, diabétique grave, dont le mari était smicard, qui lui disait toujours dans la rue : « Promis, docteur, je viens vous voir cette semaine »… et qui ne venait jamais. « En 1997, dès que je suis devenu médecin référent et que j’ai pu lui proposer le tiers payant, elle a poussé la porte de mon cabinet » sourit ce généraliste de 43 ans, installé à Roubaix, dans le Nord. Ici, comme il dit, ce n’est pas la misère, mais « le quart-monde ». Illettrés, chômeurs, érémistes, mais aussi salariés à la limite de basculer dans l’exclusion parce qu’intérimaires pour les 3 Suisses ou ouvriers dans une PME…Depuis onze ans qu’il s’est installé, Philippe Foucras a d’ailleurs calculé l’espérance de vie de ses patients. Verdict ? « 58 ans, comme au Soudan », souffle-t’il. Pour ce praticien, « le tiers-payant, c’est la bouée de sauvetage ». « Un couple précarisé ne peut souvent avancer plusieurs consultations à 20 euros, pour peu que les enfants tombent malades en même temps » explique celui qui craint le pire si ce système venait à disparaître. « Ce serait un véritable recul sanitaire et social », estime-t’il. « En début de mois, ça ira encore… et ensuite ? » Ceux qui ont de l’asthme, des problèmes de thyroïde, de graves migraines… autant de pathologies nécessitant soins et suivi attentifs, mais ne permettant pas une prise en charge à 100%, viendront de moins en moins souvent, redoute-t’il, d’autant plus furieux qu’in fine, cela coûtera plus cher à la Sécu, car on les soignera dans un état plus grave. »
Une mère de famille de 32 ans, interviewée par Valérie Hacot, lui donnait la réplique : « Si je dois me rendre chez mon médecin à la fin du mois, j'aurai vraiment du mal à sortir 20 € pour payer la consultation. » Cette mère de famille de 32 ans bénéficie depuis deux ans du système du tiers payant. Un dispositif que son généraliste lui a fait découvrir et qui, depuis, lui facilite la vie. « Mais lorsque je suis allée voir mon médecin la semaine dernière, il m'a expliqué que ce système pouvait disparaître, et cela va me poser de réels problèmes. » Avec ses 3 enfants âgés de 7 ans, 5 ans et 1 an, Laurence est en congé parental et bénéficie de 925 € d'allocation. Quant à son mari, il touche 1 067 € chaque mois. Résultat, le couple calcule son budget au plus serré. « Avec le tiers payant, je ne débourse que 6 euros par consultation. C’est vraiment très appréciable. » D’autant qu’avec des enfants en bas âge, les visites chez le médecin se multiplient : « Quand un enfant tombe malade, les autres suivent. En moyenne sur l’année je vais chez le généraliste deux fois par mois. Si je ne sors que 6 euros à chaque fois, tout va bien, en revanche si cela venait à disparaître, j’aurais vraiment du mal. » Pas question pour autant de renoncer aux visites chez le médecin pour ses petites : « En revanche, pour moi, j’y réfléchirais à deux fois.. » De toute façon, Laurence n’a pas l’impression d’être une patiente qui profite du système. « Pour justifier cette mesure, on nous explique que c’est pour responsabiliser les particuliers. Personnellement, je n’ai pas l’impression que nous abusons. »
Toujours soucieux de son image médiatique, Philippe Douste-Blazy ne mit pas 24 heures à réagir. Dès le lendemain, il appelait la journaliste pour lui annoncer la bonne nouvelle : il venait de tirer de son chapeau « Le tiers payant pour 2 millions de nouveaux assurés. » C’est pas du ministre réactif, ça madame ?: « Je vais demander à l’assurance-maladie d’accorder cette dispense d’avance de frais aux personnes dont les revenus n’excèdent pas 15% du plafond de la CMU. » Pas 10, pas 12, pas 14 ni 16. 15%. Soit…662,55 euros par mois en ce 12 Janvier 2005. A ces calculs d’économiste néolibéral avancé, Philippe Foucras répondait avec le simple bon sens d’un médecin de terrain : « Nouveaux formulaires administratifs, coûts supplémentaires de gestion pour la Sécu… pourquoi créer une nouvelle catégorie de « moins pauvres que les pauvres ? ». Et un directeur de caisse primaire, forcément anonyme pour s’épargner les foudres de sa hiérarchie, renchérissait : Radios, scanners, actes biologiques, médicaments, actes chirurgicaux lourds… aujourd’hui, le tiers-payant représente déjà 70% de nos prestations… c’est à l’entrée du système de soins qu’il faut tout faire pour inciter les gens à se soigner… »
Oui, certainement, mais avec des raisonnements comme celui-là, comment faire fonctionner le complexe médico-industriel ?
Note en 2024: Le tiers-payant ferait l'objet sous le quinquennat Hollande d'une bataille à front renversé. Le gouvernement socialiste, et Marisol Touraine à la manoeuvre, tenteraient d'imposer aux soignants un tiers-payant obligatoire, mais directement avec les assurances complémentaires, à la différence du tiers-payant de l'option référent qui était géré intégralement par la Sécurité Sociale, qui se retournait ensuite vers les complémentaires. Les assurances privées et les "mutuelles" cherchaient à arracher un lien de sujétion direct avec les soignants, en court-circuitant l'Assurance-Maladie. La Mutualité Française, et son président Etienne Caniard, mettraient tout leur poids dans la balance pour tenter de gagner cette étape, en vain. Mais nous y reviendrons plus tard ;-)