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Chapitre 1

"J’imaginais que le métier de médecin, au plus proche de l’humain, était le métier le plus éloigné des préoccupations matérielles, des questions financières. Il m’a fallu quelques années pour réaliser mon erreur."

Quelqu’un a pensé, un instant, aux parents de David Vincent ? Non mais sans rire, quelqu’un y a pensé ? A ce qu’ils ont dû endurer ?

Vous imaginez le tableau ? Des gens d’extraction modeste, probablement. Des Américains tout ce qu’il y a de moyen, vivant une existence paisible dans un trou quelconque du Middlewest, un de ces bleds paumés dans lequel la circulation se résume à cinq pick-up trucks et deux tornades de poussière par jour. 

A la tombée de la nuit, sur le porche, les voisins viennent s’asseoir et tailler bavette. Parler de l’Etat de la Nation, de ces beatniks qui bloquent les universités ( on est, si ma mémoire est bonne, dans les années 60), des communistes, avec leurs couteaux entre les dents, qui sont à la porte, comme le loup déguisé en camelot en quincaillerie dans les dessins animés de Walt Disney des années 30. Et  puis heureusement, pour se remonter le moral, ils échangent des nouvelles de leurs enfants, qui ont fui ce trou-à-rats pour monter à la ville, épouser un vendeur de voitures d’occasion à Cincinatti ( Peggy Sue ), divorcer d’un directeur d’agence de voyage à Boston ( Sue Ellen ) , s’associer à un cabinet d’architectes reconnu à Los Angeles ( David ).

David Vincent, la gloire de son père, le château de sa mère, la prunelle de leurs yeux. 

Est-ce que quelqu’un a pensé, juste un instant, à ce qu’ils ont enduré, ces braves gens, le jour où un de leurs voisins, en ricanant sous cape, a sorti de sa salopette délavée un article découpé dans un journal de crâne d’œuf, un journal de Washington ou de New-York ? 

La déception que cela a dû être, le soudain basculement dans l’abîme. Certains ont des gosses qui boivent ou qui se droguent, d’autres ont des gosses momosexuels. Mais là, c’est le pompon. David, David qui promenait le chien de Mrs Buerger quand elle a eu sa phlébite, David qui filait toujours un coup de main s’il y avait une tondeuse à réparer, David à qui on a payé de belles études d’architecte, David est dans le journal maintenant. 


Pas parce qu’il a décroché un contrat pour un immeuble de la Chase Manhattan Bank.

Pas parce qu’un  jet-setter californien lui a confié l’édification de son hacienda sur les hauteurs de Big Sur. 


Non.

 

David est dans le journal parce qu’il raconte à qui veut l’entendre que les Envahisseurs extra-terrestres sont parmi nous, et que le cauchemar a déjà commencé.

Un garçon si prometteur.Papa.

Maman.

Désolé.


Mon père était expert-comptable, ma mère trésorière à l’Unesco. Ils maniaient des chiffres toute la journée, et moi j’étais nul en maths. Ce qui s’appelle nul. Alors j’ai décidé de « faire » médecine. C’est un raccourci, bien sûr, mais qu’est-ce qui n’est pas un raccourci ? Il y avait d’autres raisons, familiales, littéraires, mais cette aversion pour les chiffres, et plus spécifiquement pour l’argent, y est pour quelque chose. Pour l’enfant que j’étais, être médecin, c’était être utile à la société, être utile aux autres, sans avoir à se soucier d’argent. J’imaginais que le métier de médecin, au plus proche de l’humain, était le métier le plus éloigné des préoccupations matérielles, des questions financières. Il m’a fallu quelques années pour réaliser mon erreur. A l’hôpital, où, externe, j’enquillais des gardes de 24 heures au tarif horaire de 0,5 euro, cornaqué par des patrons paternalistes qui m’expliquaient que je me rattraperai une fois diplômé. En cabinet de médecine générale, quelques années plus tard, lorsque je découvris les joies du paiement à l’acte,  plus d’un siècle après que les ouvrières des manufactures en aient été affranchies. Et puis, plus récemment, lorsque commença à se dessiner la dernière réforme en date de la Sécurité Sociale, la RdlDC ( Réforme de la Dernière Chance), la MdTlF ( Mère de Toutes les Réformes). C’est pendant les travaux d’approche, au moment où les pouvoirs qui nous gouvernent posaient les premières pierres de leur Réforme, que tout a commencé pour moi.

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